Texte de Serge Zelezeck (Dr.)

Kadji Defosso nous a quitté le 23 Août 2018 en Afrique du Sud à  l’âge de 95 ans, des suites d’une longue maladie. L’un des derniers grands combats de sa vie c’était se battre pour que le port de Douala soit géré par des nationaux, comme on l’apprend dans le coffret biographique, « KADJI DEFOSSO : IL A FALLU DU TEMPS ». Laissons plutôt parler cet extrait du coffret : « Avec le commerce général, l’importation de différentes denrées destinées aux supermarchés, l’exportation du café-cacao, les produits vendus au cinéma ou encore les matières premières nécessaires à UCB, le groupe Kadji est assurément un des plus grands acteurs dans le domaine de l’import-export au Cameroun. Le moment est donc venu pour lui de maitriser l’acheminement des différents conteneurs devant alimenter l’ensemble de ses entreprises. Il crée alors la SOTOTRANS, et la société camerounaise de transport et logistique, la SCTL. Et il imagine déjà sa propre compagnie de transport maritime, Kadji Shipping Lines.

Le capitaine d’industrie souhaite mettre un terme à cette tradition qui veut que le rôle des camerounais au port de Douala se limite à celui d’aconiers ou de transporteurs et veut se constituer en syndicat pour défendre les intérêts des nationaux. En vain. Cette bataille sera perdue. [Comme conclut sa fille, Nicole Kadji Defosso], Il a beaucoup combattu Bolloré quand on a voulu le mettre au port de Douala. Ça a été une de ses derniers bagarres. Il estimait que cela privait les Camerounais d’un bien qui était le leur, et qu’il y avait suffisamment de Camerounais expérimentés pour gérer ce port. »

Ce passage de la vie de Kadji est révélateur de ce qui fut/est au fond le « combat ou cause profonde » de la première génération des Hommes d’affaires Bamiléké après les indépendances : réduire l’emprise des entrepreneurs européens sur l’économie nationale. Indépendance Economique donc c’est-à-dire ne pas laisser que les secteurs importants de l’économie nationale soit le « domaine réservé » des entrepreneurs étrangers. L’existence toujours sous-jacente de ce « combat ou cause profonde » émerge clairement lorsqu’on lit les biographies de ces Hommes d’affaires Bamiléké de la première génération postindépendance, leurs dires et discours, leurs activités et surtout leur détermination à investir dans des domaines difficiles et risqués comme l’industrie, les grands chantiers de travaux publics, etc. Le sociologue/anthropologue français Jean-Pierre Warnier, spécialiste du Grassfields, évoque l’existence bien marquée de ce « combat ou cause profonde » lorsqu’il parle de « l’inspiration nationaliste qui stimule bon nombre de ces entrepreneurs [Bamiléké de la première génération]» dans son ouvrage « L’ESPRIT D’ENTREPRISE AU CAMEROUN ».

Ce « combat ou cause profonde » des Hommes d’affaires Bamiléké reste plutôt inconnu ou peu compris par beaucoup de personnes y compris les Bamiléké eux-mêmes. Je crois le problème c’est qu’ en réalité, nous-mêmes Bamiléké, ne connaissons pas toujours notre histoire, y compris notre histoire récente, notamment ses détails profonds une fois passé le seuil des grands titres. En fait, pour comprendre le « combat ou cause profonde » donc nous parlons ici, il est indispensable de lire deux sources qui traitent de la question des origines de ce phénomène.

La première source est l’ouvrage du politologue Africain-Américain, Richard A Joseph « Radical Nationalism in Cameroun » paru en 1977 et qui été traduit en français et publié aux éditions Karthala sous le titre « LE MOUVEMENT NATIONALISTE AU CAMEROUN. LES ORIGINES SOCIALES DE L’UPC (1946-1958) » en 1986.

La seconde source est l’article de l’historien Mä Tchouake Noumbissie intitulé « LA CONSTRUCTION DE L’IMAGINAIRE SOCIO-POLITIQUE BAMILEKE ET LES PREMICES DE LA REBELLION DANS L’OUEST CAMEROUN » publié en 2007. Pour résumer ces sources, la naissance de ce « combat ou cause profonde » s’est jouée dans deux lieux : le pays Bamiléké lui-même et le dans le Mungo. Commençons par le Mungo.

LE FOYER DU MUNGO

Dès la colonisation Allemande, le Mungo devient l’un des principaux foyers économiques de la colonie. C’est là-bas que les colons successifs vont construire une économie de plantation qui était la principale source de revenue de la colonie. La place que les colons réservaient aux noirs dans cet Eldorado économique du Mungo était celui de laboureur dans des plantations appartenant aux entrepreneurs Blancs.

Très vite le pays Bamiléké est transformé en principal foyer de fourniture de cette main-d’œuvre pour les plantations et autres chantiers des colons. Les déportés Bamiléké arrivent dans cette zone dans le cadre de la pratique des travaux forcés dès 1910. Ces migrations de travailleurs bamiléké forcés (et volontaires plus tard) vers le Mungo se poursuivra avec les colons Français. Or contrairement au plan colonial, une fois sur place, les Bamiléké se singularisent, au fil des années, par leur rejet de la place de laboureur qui leur était réservé pour plutôt faire ce que les entrepreneurs Blancs eux-mêmes faisaient : c’est-à-dire avoir sa propre plantation ou ouvrir un commerce.

Tout y passera pour les stopper ou restreindre leur ardeur : des lois les interdisant de faire les cultures d’exportation comme le café et la banane, d’autres lois limitant leur accès au foncier, la limitation du nombre de licences octroyées pour faire le commerce, la division du bloc des colonisés en deux groupes antagonistes via la création des concepts d’autochtone et allogène, etc.

Tous ces lois sont formulées sous l’impulsion des entrepreneurs coloniaux voyant mal cette intrusion des entrepreneurs Bamiléké dans leur « domaine réservé » et la perte de leur main d’œuvre bon marché. Double perte donc ! L’Affrontement entre ces deux groupes étaient donc inévitable et aura de vastes conséquences et soubresauts que Noumbissie décrit superbement et en détails dans son article.

LE PAYS BAMILEKE

Au pays Bamiléké lui-même une scène similaire au Mungo se jouera pendant la même période et un peu plus tard. Ici également citons un long extrait de Noumbissie:

« Le déroulement de la Deuxième Guerre mondiale fut l’occasion de découvrir dans le pays bamiléké les nouveaux méfaits de la colonisation. Sous prétexte d’effort de guerre, l’administration du territoire fut en grande partie confiée aux entrepreneurs coloniaux. Les Bamiléké, leurs rivaux, comme nous avons pu le constater dans la vallée du Mungo, furent les principales victimes de ces changements. Dans la région de l’Ouest-Cameroun, encadrés par un puissant syndicat, les planteurs européens réussirent à stopper la progression des planteurs bamiléké. En passant outre la réglementation qui leur interdisait d’augmenter la superficie des plantations agricoles, ils les contraignirent à abandonner leurs plantations pour se mettre à leur service.

La prise de pouvoir des entrepreneurs coloniaux fut marquée dans le pays bamiléké par le renforcement des mesures impopulaires. Les rafles et les chasses à l’homme pour le travail forcé, que la création en 1937 de l’ORT avaient tempérées, furent rétablies. Les hommes de plus de 14 ans qui n’avaient pas pu être enrôlés comme volontaires étaient embarqués manu militari pour les plantations du Noun pour les plus chanceux (pour leurs proximités avec les chefferies bamiléké), du Wouri, du Haut-Nyong, du Lom et Kadei et du Mungo pour la majorité.

Les colons ne se limitèrent pas à priver les chefferies des hommes valides, ils encouragèrent les chefs de subdivision à faire détruire les plantations de café qu’ils considéraient comme clandestines. Ils étaient revenus sur les assouplissements de la loi de 1933 qui permettaient à certains notables de créer des caféières. Les entrepreneurs coloniaux arguaient que les plantations autochtones affecteraient la qualité des produits. Si ces derniers pouvaient citer en exemple la faible compétitivité du cacao camerounais sur le marché mondial, dont l’exportation provenait à près de 99 % en 1938 des plantations autochtones, ils ne pouvaient occulter la crainte qu’ils avaient du développement d’une bourgeoisie peu dépendante des subsides en provenance des plantations coloniales.

A la fin de la guerre, les entrepreneurs coloniaux avaient consolidé leur potentiel économique et renforcé leur audience politique. Les événements qui suivirent apportèrent la preuve que ceux-ci voulaient traduire en termes politiques les acquis enregistrés durant la guerre. Ces ambitions, qui prirent de l’ampleur au lendemain de la conférence de Brazzaville (janvier-février 1944), se radicalisèrent après les États généraux de la colonisation française organisés par l’Association des Colons du Cameroun (ASCOCAM) à Douala le 5 septembre 1945. En occupant les devants de la scène politique, les colons souhaitaient voir confirmer leurs attributions pendant la guerre. Ils voulaient ainsi inverser la tendance des propositions évoquées à Brazzaville où, selon eux, l’on avait commis l’erreur fondamentale de « brûler les étapes en niant les lois biologiques de l’espèce, pour l’évolution des races ». Robert Delavignette, Commissaire de la République au Cameroun de 1946 à 1947, avait toujours perçu les intentions des colons comme une volonté d’institutionnaliser le racisme sur le modèle sud-africain. Il résumait leurs objectifs en réaffirmant que les colons souhaitaient établir « un apartheid politique et économique qui viendrait compléter l’apartheid social qui avait toujours existé dans le territoire ». Dans les prétentions des colons, les populations bamiléké étaient visées au premier chef… »

Voila donc les conditions historiques qui ont fait naitre le combat ou cause profonde donc nous parlons.

C’est aussi ce contexte historique qui a produit le mécontentement populaire ayant conduit à l’embrasement du pays Bamiléké de 1950 à 1971 (la guerre d’indépendance/guerre civile) et le génocide que nous connaissons. Bien que cette guerre fût perdue. Des victoires semblent avoir été engrangées au sujet du « combat ou cause profonde ». A ces débuts dans le Mungo et en pays Bamiléké, ce « combat et cause profonde » était avoir le droit de cultiver le café, la banane, ouvrir légalement un commerce, au fils des années il a concerné d’autres domaines restés fermés aux nationaux comme l’industrie, le secteur des travaux publics (c’est-à-dire le refus que ce soit le domaine exclusif des entreprises comme RAZEL et autre SATOM), le secteur bancaire, etc…

Jusqu’à ce jour, ce combat ou cause profonde, quand vous écoutez les entrepreneurs Bamiléké et même les intellectuels Bamiléké voire les Bamiléké lambda est toujours présent en soubassement. Nous avons vu avec Kadji et sa génération ci-dessus comment cette pensée était présente à leur esprit et guidait leurs œuvres. Vous verrez ce « combat ou cause profonde » présent dans les motivations des Hommes d’affaires des autres générations après la première comme Paul K. Fokam par exemple dont la motivation en créant Afriland First Bank était, d’après ses propres dires, de prouver, contrairement à ce qui se disait jusque dans les années 80s, que les Africains n’ont pas la capacité managériale pour créer et gérer eux-mêmes une grande banque. D’ailleurs Fokam a récemment raconté ses déboires lors du lancement de son projet au début des années 1990s avec un « conseiller technique » français au Ministère des Finances dont l’action s’inscrivait justement dans la tradition coloniale de blocage du noir entreprenant présentée ci-dessus. Voir ici : https://www.facebook.com/…/a.159709…/543682679812140/…

De même face à l’exclusion quasi systématique des Africains des grands projets en Afrique, Fokam milite aujourd’hui pour que l’Africain se donne enfin à lui-même de « le droit à l’erreur ». Voici son message à ce sujet: « Sachez que vous avez droit à l’erreur. Malheureusement c’est ce qu’on refuse tous les jours à l’Afrique. Lorsqu’on lance un marché ici en Afrique, on dit : « il faut une expérience internationale, il faut des années d’expérience. » Cela veut dire qu’en définitive on vous refuse le droit à l’erreur. Or, le droit à l’erreur est un droit fondamental. Ceux qui demandent des années d’expérience ne comprennent pas ce que c’est cette expérience : c’est la somme des erreurs. Donc vous ne pouvez pas avoir une expérience si vous n’avez même pas osé. » La question de ce droit à l’erreur est tellement capitale pour Fokam qu’il en fait tout un chapitre dans son dernier ouvrage DEUX CAPITAINES D’INDUSTRIES SE RACONTENT de Paul K. Fokam et Gervais Koffi Djondo, 2019, Editions Afrédit.

En conclusion, je dirais que certaines choses ont des racines profondes et trouvent le moyen de se perpétuer au fil des générations malgré les difficultés. Know your history ! Keep moving ! Le combat centenaire de nos parents pour que l’Africain, le noir, n’ait aucun complexe envers qui que soit, malgré les propagandes et les obstacles de toutes sortes, continue. Aujourd’hui ce combat est carrément panafricain et mondial. Lisez par exemple ici comment les Africains-Américains sont butés face ce même problème : https://www.facebook.com/motherlandedu/posts/2970264993022256?notif_id=1592472222412563&notif_t=page_post_reaction; ou encore regardez aussi la situation des noirs postapartheid en Afrique Australe malgré la conquete du pouvoir politique. Généralement confronté à ce problème, l’Africain répond toujours seulement par des protestations politiques (marches, condamnations du racisme, etc.). Il faut renforcer la capacité de l’Africain à répondre aussi efficacement par la voie économique. Nous avons quelque chose à apporter au monde noir découlant de notre expérience de victoires (et aussi de défaites) dans ce domaine.


Photo illustration: construction traditionnelle Bamiléké (en haut) et construction du chemin de fer Bonaberi-Nkongsamba (en bas).
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Si vous voulez faire partir de ce groupe privé de négociant qui se met sur pied et surtout suivre la dernière formation sur le négoce organisé par moi, inscrivez-vous rapidement à notre tourisme entrepreneurial qui aura lieu à Zanzibar en fin de cette année.

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🇫🇷France,
🇷🇴Tchad,
🇨🇲Cameroun,
🇨🇮 Côte d’Ivoire,
🇧🇫 Burkina Faso,
🇳🇪 Niger,
liste provisoire des pays de provenance des participants au tourisme entrepreneurial de Zanzibar Acte 2 inscrivez-vous rapidement et fait partir de ce réseau mondial de négociant qui se met progressivement sur pied.

Ernest TCHAKOUTE (coach Ben)
Nkongsamba le 21/10/2021 — 05h32
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